Abajo/Down
Quand je me lève, je bois habituellement un verre d’eau et je prends un bain. En buvant, j’essaie de deviner si l’eau a été bouillie ou pas. En prenant mon bain, je respire avec soin pour évaluer si le jet d’eau sent bon ou mauvais.
Ce faisant, j’aime contempler les idées qui, venues du tréfonds, affleurent dans mes pensées, et qui concernent les évolutions possibles de mon travail au cours de la journée et, tandis que je prends plaisir à cette méditation sans fin, je laisse l’eau couler comme un affluent bifurquant autour de mon corps, me reliant au reste du monde, comme si les mots de mes pensées s’écoulaient, par ma transpiration, jusque dans les trous des canalisations : « Magnifique voix de l’eau dégringolant les escaliers, mes mots écumant à la dérive à travers l’eau paisible, vers le tiède lit du cours d’eau, eaux noires d’une destination inconnue, bien que l’eau soit toujours transparente et permette de voir le fond, sphère de pierre jetée dans les eaux éternelles, comme un brouillard sur les eaux, eau vacillante, œil qui observe, escalier d’eau soutenant le regard, indifférence de l’eau et du feu, ‘aguas estimadas que han de stimarse’, pieds lavés à l’eau pétillante » .
Lorsque ces décors de tuyaux deviennent des décors faits dans les règles de l’art, ils ne sont plus liés au lieu où je les ai forgés mais se transforment en ce qu’ils ont toujours été : des fragments du courant abondant qui filtrent l’imagination de chacun ; je peux imaginer tous ceux qui placeront leur corps dessus, comme un grand fleuve qu’ils accueilleront, comme un cours d’eau historique s’écoulant dans la ville, comme des livres et des jouets posés sur l’une de ces chaises ou dans ces rayonnages où gît déjà ma mémoire. Tony el tubero, Mies van der Rohe, la tuyauterie de Mart Stam, les passages de pierre de Gelsenkirchen. Peut-être qu’à certains moments de leur vie, comme immergés dans le liquide qui coule de cette idée, ils s’imaginent rebelles, distraits ou utopistes comme moi, pour arriver comme l’eau, comme le gaz ou simplement le grand vide, jusqu’au fond. (R. F. Rodriguez)
(Holguín, Cuba 1960) Vit et travaille à La Havane, Cuba
L’un des plus importants artistes cubains contemporains, professeur à l’Institut Supérieur d’Art de La Habana (ISA), René Francisco a formé la génération d’artistes des années 90, engagée dans des projets individuels et collectifs, d’une forte teneur sociale. Son travail a conduit à la création du projet acclamé : Desde una Pragmatica Pedagogica (DUPP), prix des arts de l’UNESCO en 2003, qui a eu un impact idéologique autant au niveau local qu’international.